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Le Nouvel humanisme
Conférence du Dr Salvatore Puledda
CONFÉRENCE DONNÉE À LA SORBONNE
par le Docteur Salvatore Puledda
le samedi 29 mai 1999 en l'amphithéâtre Descartes
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français
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español
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Qu'est-ce que le Nouvel Humanisme ?
Je remercie les amis du
Mouvement Humaniste français d'avoir organisé cette conférence,
ainsi que vous tous ici présents. Je remercie également les autorités
académiques de La Sorbonne de m'avoir permis de présenter les
idées fondamentales du Nouvel Humanisme dans cet amphithéâtre
Descartes, lieu symbolique de la culture européenne.
C'est dans cette salle que, les 23 et 25 février 1929, Edmond Husserl
donna deux conférences intitulées Introduction à la phénoménologie
transcendantale. Il voulait expliquer au public français le sens et l'essence
de sa philosophie. C'est connu, ces conférences revues et augmentées
par l'auteur furent publiées en 1931 sous le titre de Méditations
cartésiennes. Dans cette uvre, Husserl approfondit les thèmes
de la subjectivité transcendantale et du rapport de celle-ci avec le
monde et les autres subjectivités. Il renoue ainsi le fil du discours
commencé trois siècles auparavant par Descartes dans ses Méditations.
Je me suis permis d'évoquer cet événement, car la pensée
du Nouvel Humanisme doit beaucoup à la phénoménologie husserlienne,
non seulement en ce qui concerne nombre de ses idées mais surtout en
ce qui concerne sa méthode d'investigation philosophique, mais cela deviendra
clair avec la suite de mon exposé. On pourrait même dire que, par
certains aspects, le Nouvel Humanisme constitue une application de la méthode
phénoménologique au champ de la psychologie et de la sociologie,
lesquelles sont encore aujourd'hui dominées par un ensemble d'idées
de type naturaliste du 19e siècle.
Mais venons-en aux contenus de cette conférence. Avant tout, je chercherai
à présenter les aspects principaux de mon ouvrage, Interprétations
de l'Humanisme, ainsi que les motivations qui m'ont poussé à l'écrire,
et les quelques conclusions auxquelles j'ai abouti au terme de mon investigation
historico-philosophique. Ceci servira de préalable pour comprendre le
sujet de cette conférence qui cherche au fond à répondre
aux questions suivantes : qu'est ce que le Nouvel Humanisme ? Quel est le sens
de son apparition dans l'arène philosophique et politique ? Quelles sont
ses conceptions fondamentales de l'être humain et de la société
? Quelles sont ses réponses à la situation de crise généralisée
que nous vivons ? Et quelles sont ses propositions pour la construction d'une
civilisation globale en ce nouveau millénaire. Je m'efforcerai d'utiliser
le plus possible un langage simple, cependant je suis conscient que ce choix
puisse nuire à la précision des idées que je vais exposer.
Je m'en excuse par avance.
En premier lieu, nous pouvons nous demander : pourquoi parler d'Humanisme aujourd'hui
? Quel sens cela a-t-il de nous occuper de ce thème ? Avant de répondre
à ces questions, il est nécessaire de clarifier la signification
de ce mot dans le langage actuel. Si nous y réfléchissons un peu,
nous arrivons à la conclusion que le terme humanisme indique de nos jours
une attitude générique, une disposition à se préoccuper
de la vie humaine ; cette vie humaine qui est assaillie par tous les problèmes
que posent l'organisation sociale, le développement incontrôlé
de la technologie, et le manque de " sens ". Mais avec une signification
si vague et si indistincte, le terme peut-être entendu des façons
les plus diverses et contradictoires. Ainsi pour parler d'humanisme correctement,
il est nécessaire de reconstruire de façon précise les
multiples interprétations que le mot a eu dans l'histoire - au moins
les interprétations les plus importantes. Et il est nécessaire
d'expliquer pourquoi on en est arrivé à cette indétermination
de sa signification.
Mais pourquoi se lancer dans cette investigation qui devrait être laissée
aux spécialistes de l'histoire de la philosophie ou de la culture ? Quelle
importance cela peut-il avoir pour nous hommes du commun. Cela est important
car en y regardant bien, chaque interprétation de l'humanisme nous parle
- explicitement ou non - de quelque chose qui nous intéresse tous en
tant qu'êtres humains. En fait, chaque interprétation de l'humanisme
est aussi une interprétation de l'essence humaine, la construction d'une
conception de l'homme et un discours sur qui sont ou que sont les êtres
humains. Bref, étudier les diverses interprétations de l'humanisme
dans la culture européenne - de la fin du Moyen-âge jusqu'à
aujourd'hui - a signifié étudier les différentes images
que l'homme européen a construit de lui-même durant ces six cent
dernières années. Réaliser cette investigation fut comme
entrer dans une galerie de miroirs qui renvoyaient une image toujours nouvelle
d'un objet unique : l'homme. Mais l'expérience fut plus complexe, car
cette image protéiforme, mobile comme du mercure, entraînait également
dans sa transformation le paysage dont elle émergeait. En effet, l'être
humain vit toujours dans un monde naturel dont l'image est nécessairement
liée voire corrélative à celle qu'il construit de lui-même.
C'est comme si les traits, les tons, les caractères qu'il retrouve en
lui s'étendaient à la nature et la modelaient . En outre, l'apparition
d'une nouvelle image montrait toujours la fin d'une époque et l'élan
vers la construction d'une nouvelle culture. A l'inverse, la crise d'une image
établie pouvait être considérée comme un des indicateurs
les plus fidèles de la crise de la culture à laquelle elle appartenait.
Pendant un temps, l'ancienne et la nouvelle conception luttaient pour la suprématie
et leur conflit pouvait sortir des milieux philosophiques pour rejoindre la
rue.
Rien n'illustre mieux cela que la crise du monde médiéval et l'apparition,
en Italie, du premier humanisme européen, celui de la renaissance. Les
premiers philosophes de l'humanisme, comme Manetti, Valla, Alberti, Pic de la
Mirandole s'efforcent tout autant de démolir la conception de l'homme
et du monde propre à la chrétienté médiévale
que d'en construire une image nouvelle. Le monde médiéval a dans
l'idée que l'essence humaine est mauvaise, dégradée par
le péché originel ; le monde d'ici bas est une vallée de
larmes que l'on a juste envie de fuir, l'homme ne peut rien pour lui-même
sinon espérer la grâce et le pardon d'un dieu lointain aux desseins
insondables. Les premiers humanistes opposent à cette conception l'idée
que l'homme est digne et libre, et même, qu'il est " un grand miracle
", un infini qui est au centre de l'univers et en reflète toutes
les propriétés . D'autre part, l'univers n'est pas le piège
qui emprisonne les âmes dans le péché, il n'est pas non
plus une simple matière inanimée, il est un être vivant
et beau qui, tout comme l'homme, sent et vibre. L'univers est un macro-anthrope
et l'homme qui en est la synthèse - c'est à dire un microcosme
- est la clé qui permet de le comprendre. Mais l'idée la plus
radicale que l'humanisme de la renaissance nous a transmis, et qui parvient
jusqu'à ce siècle (avec Heidegger et Sartre), est que l'être
humain n'a pas une nature ; c'est-à-dire qu'il n'a pas une essence fixe,
déterminée une fois pour toutes, comme c'est le cas pour les animaux,
les plantes, les minéraux, soit tous les autres êtres naturels.
L'être humain se caractérise par l'absence de conditions, c'est
un être libre qui s'autoconstruit, qui est ce qu'il a fait de lui-même
. Il se situe au point moyen de l'échelle de l'être et peut, par
ses actions, soit s'abaisser au rang de l'animal ou de la plante soit s'élever
vers un niveau de conscience plus haut, celui de l'homme supérieur, celui
du sage. C'est l'idée centrale qui apparaît dans le Discours sur
la dignité de l'homme de Pic de la Mirandole, ouvrage qui constitue un
véritable manifeste de l'humanisme de la renaissance.
Mais la percée de cet humanisme s'épuise déjà dans
la première moitié du 17e siècle, et l'image de l'homme
comme centre et métaphore du monde, cette image que la peinture de l'époque
nous a transmise sous d'innombrables versions se dissout. Avec l'âge de
la Raison, puis avec les Lumières commence la création de l'image
moderne qui apparaîtra dans toute sa clarté au 19e siècle.
Il s'agit alors d'une image double, hybride, une sorte de monstrum, dans l'acception
latine du mot désignant un être aux membres disproportionnés
et provenant d'espèces différentes. En effet, d'une part l'homme
perd son centrisme et sa spécificité dans le monde et il tend
à se transformer en un phénomène purement naturel : son
essence est pensée dans la dimension zoologique ou purement matérielle
; il devient l'expression d'un arrangement particulier de certaines structures
moléculaires sujettes aux lois inflexibles et aveugles du déterminisme
physique. D'autre part, par une étrange torsion de la pensée,
cet être se trouve dans un courant ascendant d'évolution et de
progrès, il est porteur d'une charge de liberté et de rationalité
avec laquelle il doit transformer la nature et la société en les
réordonnant à son image. La nature qui, à la Renaissance,
était comme traversée par un subtil réseau de forces psychiques,
se dépouille de son âme, l'anima mundi ; soumise au règne
de la quantité, cette nature se transforme en pure matière qui
d'un côté doit être travaillée et transformée
et de l'autre évolue par une mystérieuse dynamique interne vers
des formes toujours plus parfaites.
Cette image double de l'être humain - à moitié figure prométhéenne
portant la lumière du progrès, et à moitié robot,
machine biologique - traverse une grande partie du 19e siècle. On peut
déjà en observer certains traits dans la pensée de Feuerbach,
que lui-même définit comme un humanisme. Pour Feuerbach, l'homme
est un être purement naturel, matériel, dont le seul horizon est
la vie terrestre. Mais pour progresser sur cette terre, l'humanité doit
se libérer des superstitions religieuses, elle doit se réapproprier
tous les attributs de perfection qu'elle avait naïvement transférés,
en s'y aliénant, à la divinité. Attributs qui en réalité
appartiennent à l'essence humaine. Chez Comte, l'image se fait plus claire.
Pour cet auteur, la Science doit prendre la place occupée par la religion,
et l'utilisation de la méthode scientifique doit être étendue
du champ de la nature à celui de la société. De cette manière,
l'humanité clarifiera les lois qui sous-tendent la politique, l'économie,
et la morale - encore sujettes à la superstition et aux préjugés
- et pourra passer ensuite au stade " positif " de son évolution
dans lequel l'organisation sociale est basée sur la raison scientifique.
Alors la foi en un dieu disparaîtra et la " Religion de l'Humanité
" surgira, dans laquelle l'idée de divinité est précisément
substituée par celle d'humanité. C'est par ces voies qu'au cours
du 19e siècle apparaît ce phénomène singulier que
Foucault appelle la " théologisation " de l'homme . Cette théologisation
a sa racine dans la perte de foi dans le dieu chrétien. Avec la mort
de dieu et l'avancée de la foi en la raison et en la Science, l'homme
moderne finit par s'approprier les caractéristiques de la divinité
qui disparaît. Ce transfert ne concerne pas l'individu particulier, dont
la problématique est généralement ignorée par la
pensée de l'époque, mais il concerne la totalité du genre
humain. Ainsi naît le grand mythe eschatologique du Progrès de
l'Humanité selon lequel grâce à la connaissance scientifique
de soi, c'est à dire grâce à la biologie, la physiologie
et les sciences humaines alors naissantes (psychologie, sociologie, anthropologie...),
l'homme réussirait à se libérer de ses déterminations
et de ses aliénations pour finalement devenir libre et autonome, maître
de lui-même. Mais comme Foucault l'a encore observé, après
avoir tué dieu, l'homme doit rendre compte de sa propre finitude et expliquer
comment il peut être à la fois sujet de la connaissance et objet
du connaître ; il doit expliquer comment il peut, en tant qu'individu
limité et conditionné, construire empiriquement, morceau après
morceau, les sciences de sa propre vie sans posséder depuis toujours
à l'intérieur de lui-même, ce fondement du savoir que seule
peut légitimer la recherche sur soi.
Cette sorte d'humanisme naturaliste trouve, dans la première partie de
notre siècle, une nouvelle formulation avec le Humanist Manifesto, inspiré
des idées de Dewey. Il s'agit d'un texte extraordinairement optimiste
sur les destins de l'humanité qui a été publié en
1933, c'est à dire en pleine ascension du nazisme. Il faut également
dire que l'image de l'homme sur laquelle se fonde cet humanisme s'est presque
inscrite au niveau prédialogique - dans la conscience de l'Occident -quand
bien même elle était double, circulaire, intimement contradictoire.
En fait, cette image a fini par faire partie du substrat formé par les
vérités sociales inconscientes - ces vérités sur
lesquelles, à l'intérieur d'une culture, on est à priori
d'accord et que l'on ne remet jamais en question, tout comme l'on ne remet pas
en question que la terre est ronde. Seule une tragédie collective aux
dimensions de la deuxième guerre mondiale a pu produire une secousse
assez forte pour faire émerger cette couche quasi ensevelie et l'exposer
à la discussion et à la critique. C'est en effet dans les années
suivant cette seconde guerre mondiale que se rallume le débat philosophique
sur comment doit être pensée l'essence humaine et sur la signification
de l'humanisme. Le débat commence en France, mais s'étend rapidement
à une grande partie de l'Europe.
En 1946, Sartre publie l'essai " L'existentialisme est un humanisme ".
Dans cet essai, il s'efforce de reformuler sa propre philosophie comme une doctrine
humaniste qui voit en l'homme et dans sa liberté la valeur suprême.
En même temps, il invite à l'engagement militant dans la société
et à la lutte contre toute forme d'oppression et d'aliénation.
Une doctrine ainsi structurée allait servir de base à la construction
d'une nouvelle force politique, à l'ouverture d'une " troisième
voie " entre le parti catholique et le parti communiste qui de leur côté
se réclamaient de doctrines humanistes. Ainsi dans la France d'après
guerre, on assiste au conflit entre trois formulations différentes de
l'humanisme, trois conceptions différentes de l'essence humaine. Mais
ce conflit ne se limite pas aux seuls milieux philosophiques ; à travers
les partis politiques qui s'inspirent de ces trois doctrines en lutte, ce conflit
descend dans la rue, entraînant et passionnant de vastes couches de la
société, comme cela eut lieu en Italie à l'époque
de la Renaissance
Pour Sartre, l'être humain n'a pas une essence déterminée,
fixe. L'être humain est fondamentalement une existence lancée dans
le monde et qui se construit à travers le choix. La caractéristique
fondamentale qui le fait " humain ", c'est à dire différent
de tous les autres êtres naturels, est justement la liberté de
choisir et de se choisir, de se projeter, de se faire. Par conséquent,
l'homme cesse d'être " humain " lorsqu'il refuse cette liberté
et adopte la conduite que Sartre appelle " mauvaise foi ", c'est à
dire lorsqu'il se replie sur des comportements acceptés et codifiés,
sur la routine des rôles et des hiérarchies sociales.
Dans l'humanisme chrétien, comme le formula son créateur, Maritain,
dans la première partie de ce siècle, l'essence humaine se définit
uniquement par rapport à Dieu : l'homme est " humain " parce
qu'il est fils de Dieu, parce qu'il est immergé dans l'histoire chrétienne
du Salut. Ainsi, l'homme cesse d'être véritablement " humain
" quand il refuse la paternité divine et l'obéissance à
la loi que Dieu, dans son amour, lui a imposée.
Pour Marx, l'homme est d'un côté un être naturel, comme l'entendait
Feuerbach, d'un autre côté il possède une spécificité
qui le rend " humain ". Cette spécificité est la "
sociabilité ", c'est à dire la tendance à former une
société. Il va plus loin, pour lui, l'essence humaine ne réside
pas dans l'individu, mais dans la collectivité sociale, tout comme l'essence
de l'abeille ou de la fourmi ne réside pas dans chaque animal, mais dans
la ruche ou dans la fourmilière. C'est dans la société
que l'homme, grâce à son travail avec d'autres hommes, assure la
satisfaction de ses besoins naturels et transforme la nature en une chose qui
se rapproche de plus en plus de lui même, en quelque chose de plus en
plus humain. Et l'homme cesse d'être " humain " lorsque sa sociabilité
naturelle est niée, comme c'est le cas dans la société
capitaliste où son travail lui est soutiré au bénéfice
d'une minorité.
En 1947, Heidegger intervient dans ce débat, sollicité par un
philosophe français qui lui demande comment rendre son sens au mot "
humanisme ", sens qui s'était perdu dans la dispute de tous ces
prétendants. Dans un texte célèbre, la " Lettre sur
l'humanisme ", Heidegger analyse les différentes conceptions de
l'essence humaine, formulées par les différents humanismes, anciens
et modernes ; il retrouve en toutes un présupposé tacite commun
qui n'est pourtant jamais soumis à l'investigation ou à la critique.
Ce présupposé, que tous les humanismes acceptent implicitement,
est que l'être humain répond à l'ancienne définition
d'Aristote, c'est à dire qu'il est un " animal rationnel ".
Généralement, personne ne doute de la première partie de
la définition c'est à dire de " l'animal ", alors que
le " rationnel " devient selon les différentes philosophies
l'intellect, l'âme, l'esprit, la personne, etc.. Certes, dit Heidegger,
on affirme ainsi quelque chose de vrai à propos de l'être humain,
mais son essence est pensée de façon trop étroite. L'essence
humaine est pensée à partir de " l'animalitas " et non
à partir de " l'humanitas ", l'homme étant ainsi réduit
à un être naturel, à un phénomène zoologique
et finalement à une chose. De cette façon, on oublie le point
fondamental, c'est à dire que l'être humain n'est pas un "
quoi ", un être quelconque, mais un " qui " qui se pose
la question de l'essence des êtres et de sa propre essence. Avoir réduit
implicitement l'être humain à un être quelconque, à
une chose, a provoqué l'appauvrissement des humanismes traditionnels
et leur échec historique. La racine du nihilisme et de l'élan
éminemment destructeur de la société technologique actuelle
se trouve aussi dans cette réduction de l'être humain à
une chose. Pour Heiddeger, l'essence humaine doit être pensée à
partir d'un emplacement totalement différent : pour lui, l'être
humain est infiniment plus proche du divin que des autres êtres naturels.
Un abîme irréductible le sépare par exemple des animaux.
Heiddeger ne dit pas de quelle façon on pourrait faire une nouvelle expérience
de l'essence humaine. Pour lui, la réalisation d'une telle expérience
n'est pas à la portée des hommes qui peuvent uniquement se préparer,
dans le silence, à ce qu'il appelle " la nouvelle révélation
de l'être ".
L'intervention de Heiddeger clôt le dernier grand débat sur l'humanisme.
Aujourd'hui, la perte de foi dans le " progrès ", qui marque
la fin de la modernité et l'entrée dans l'époque post-moderne,
a dépouillé l'image du XIXe siècle de sa brillante auréole
. Aujourd'hui, il ne reste de l'image de l'être humain que l'aspect d'une
" machine biologique ", c'est à dire d'une " chose "
déterminée par sa conformation chimique - le patrimoine génétique
- et par les stimuli arrivant du milieu environnant. C'est une image dans laquelle
nous croyons tous, avec diverses nuances. Finalement, on a substitué
au dieu chrétien un dieu bien plus mystérieux et énigmatique
: le Hasard. Ce hasard qui, par des voies par définition imprévisibles,
détermine les mutations de la matière et de sa forme particulière
qu'est la vie et qui les livre ensuite à la dure nécessité
des lois physiques. Dans cette dimension, il n'y a aucun espace pour la liberté
et le choix, ni aucune possibilité de fonder un système de valeurs.
Et la vie humaine, comme le monde entier, perd son sens et se transforme en
un quotidien banal et opaque, en une course absurde vers la mort. Il ne me semble
pas utile de m'appesantir sur ces aspects négatifs de la situation culturelle
actuelle, car nombre de penseurs et d'artistes contemporains les ont déjà
décrit avec soin et profondeur. Je voudrais juste mettre en évidence
qu'une telle situation est nécessairement le prélude à
une nouvelle " marée montante du nihilisme ", si on n'y apporte
aucune correction.
C'est dans ce vide que naissent le Nouvel Humanisme et le Mouvement Humaniste
qui en incarne les idéaux. Je clarifie tout de suite que le Nouvel Humanisme
se définit et se présente comme un système d'idées,
une idéologie. Cela semblera peut-être un peu rétro dans
cette époque post-moderne où toute forme structurée d'idées
est réduite à une simple " narration ", à un
mythe individuel ou de groupe cachant une recherche de pouvoir. Nous ne sommes
pas si naïfs pour croire que nos idées sont " scientifiques
" et quelles représentent la réalité " objective
" comme on le disait au siècle dernier. Nous nous emplaçons
dans la tradition phénoménologique, et c'est pourquoi nous ne
parlons pas d' " objectivité " mais d'interprétation,
de projet. Le nouvel Humanisme est une interprétation générale
de la situation de ce monde globalisé, et, un ensemble structuré
de propositions pour sortir de la crise dans laquelle se débat notre
civilisation. C'est un projet, une Utopie pour le nouveau millénaire,
qui peut-être accepté ou rejeté, mais qui revendique pour
lui-même une dignité au moins égale à celle qui est
réservée aux mille propositions partielles que la frénésie
pragmatique de cette époque nous présente chaque jour.
Le Mouvement Humaniste naît il y a trente ans grâce à un
penseur latino-américain, Mario Rodriguez Cobos qui signe ses uvres
sous le pseudonyme de Silo. L'acte de lancement est un discours que Silo tient
le 4 mai 1969 dans un coin perdu des Andes argentines et auquel assistent environ
500 personnes de différents pays d'Amérique latine. Le discours
s'intitule " La guérison de la souffrance " et traite du thème
du sens de la vie, de la souffrance mentale, de la violence, et des voies pour
les dépasser. Ces trente dernières années, le Mouvement
Humaniste s'est étendu et enraciné dans une cinquantaine de pays
sur les cinq continents. Il a élaboré une image de l'être
humain nouvelle, en opposition avec celle qui domine actuellement, et aussi
une nouvelle idée de l'humanisme en cohérence avec le monde globalisé
dans lequel nous vivons.
Silo a reconstruit une image de l'être humain. Cette reconstruction s'encadre
dans le développement de la pensée du 20e siècle qui se
pose en alternative au naturalisme : c'est la lignée de la phénoménologie
et de l'existentialisme qui va de Husserl et Heidegger à Sartre. Pour
Silo, la conscience humaine n'est pas un " reflet " passif ou déformé
du monde naturel, ni un container de " faits psychiques " existants
en soi ; la conscience humaine " transcende " le monde naturel, c'est
à dire qu'elle constitue un phénomène radicalement différent
de ce dernier. Elle est activité intentionnelle, activité incessante
d'interprétation et de reconstruction du monde. Elle est donc fondamentalement
pouvoir être, c'est à dire futur, dépassement de ce que
le présent nous donne comme " fait ". C'est dans cette reconstruction
du monde, dans cet élan vers le futur que réside la liberté
constitutive de la conscience : liberté entre conditionnements, c'est
à dire sous la pression du passé, mais liberté de toute
façon. Dans l'interprétation naturaliste, la conscience humaine
est à l'inverse fondamentalement passive et ancrée dans le passé
: elle est le reflet du monde externe et son futur est une actualisation déterministe
du passé. Cette interprétation, si elle se veut cohérente,
ne laisse aucune place à la liberté humaine.
Pour Silo, par conséquent, bien que l'être humain participe du
monde naturel par son corps, il n'est pas réductible à un simple
phénomène naturel, il n'a pas de " nature ", il n'a
pas une essence définie une fois pour toutes. Il est un " projet
" de transformation du monde naturel et social et de lui-même. Si
nous voulons vraiment le définir, nous pouvons dire tout au plus que
" l'homme est l'être historique dont le mode d'action sociale transforme
sa propre nature " . En effet, chaque être humain naît dans
un monde qui n'est pas seulement naturel mais aussi historique et social, c'est
à dire nettement humain, et où les objets sont tous chargés
de sens, d'intentions, de finalités.
Mais d'où surgit cet élan qui anime cette activité de construction
et de déconstruction que l'on appelle Histoire ?
Pour Silo, la racine de la dynamique historique est dans le combat des hommes
contre la douleur physique et la souffrance mentale. La douleur concerne le
corps ; elle est due à la nature hostile que l'homme combat avec le développement
de la Science, ou elle est due à la violence avec laquelle certains hommes
cherchent à annuler l'intentionnalité et la liberté des
autres, en réduisant ceux-ci à des instruments de leur propres
intentions, c'est à dire à des objets naturels, à des choses.
La violence n'est pas seulement physique, mais peut aussi emprunter les voies
de la discrimination raciale, sexuelle, religieuse, économique, qui,
outre la douleur physique, génèrent la souffrance mentale.
Pour Silo, la violence physique n'est pas un fait " naturel " comme
certains ethologues ont voulu le faire croire, mais le résultat d'intentions
humaines. Elle est bien l'expression de la liberté qui constitue la conscience
humaine. De la même manière, la violence économique, produite
par les mécanismes légaux les plus variés et justifiée
par les lois du marché, n'est pas un fait " naturel ", elle
n'est pas la manifestation sur le plan humain de la lutte pour la survie du
plus fort, qui selon certains naturalistes du 19e caractérise le monde
animal. En économie et en politique, il n'existe pas de lois naturelles,
seulement des intentions humaines. (A ce propos, on peut d'ailleurs faire remarquer
que dans le monde animal, il n'existe pas que la lutte mais aussi la coopération
; et l'extension du Darwinisme à la sphère sociale n'a été
possible que parce que l'être humain avait été précédemment
réduit à un phénomène zoologique.) Pour Silo, si
la violence et la discrimination sont l'expression d'intentions humaines, un
acte libre d'opposition à celles-ci est également possible. Il
est aussi possible de choisir entre le camps des oppresseurs et celui des opprimés,
il est possible de choisir la solidarité, et un engagement de lutte pour
une société plus juste et égalitaire.
Mais ni la justice sociale ni la science ne constituent un remède à
la souffrance mentale qui surgit par les voies à travers lesquelles se
constitue l'individualité humaine, c'est à dire la perception,
le souvenir et l'imagination. On souffre quand on expérimente une situation
contradictoire, on souffre pour ce que l'on a perdu, pour ce que l'on a pas
obtenu ou que l'on ne pense pas obtenir, on souffre d'humiliation, de frustration,
de honte, on souffre par peur de la maladie, de la vieillesse, de la mort. Face
à la souffrance, face à la peur de la mort par exemple, l'homme
moderne et l'homme d'il y a 5000 ans ne sont pas différents. Seul un
sens de la vie renouvelé, dit Silo, seule une nouvelle spiritualité
peuvent guérir la souffrance mentale. La recherche de la transcendance,
la rébellion contre l'absurdité de l'existence que la mort semble
imposer, ont un grand espace dans l'uvre de Silo et dans le Nouvel Humanisme.
Silo a toujours manifesté une foi absolue dans le fait que la mort physique
ne met pas fin à l'existence, mais constitue un pas vers la transcendance
immortelle. Toutefois, il ne demande à personne d'avoir foi en ses idées
sur le divin et ne prétend pas non plus proposer une nouvelle religion
avec rites et dogmes. Au contraire, il proclame pour tous la liberté
de croire ou non en dieu et en l'immortalité. Il y a dans le Mouvement
Humaniste des athées et des croyants de toutes religions. Comme le Bouddhisme,
le Mouvement Humaniste offre des voies, des expériences à travers
lesquelles chacun peut vérifier pour soi la véracité ou
l'utilité de ce qui est dit.
Vaincre progressivement la douleur et la souffrance par le développement
de la science, par la mise en place d'une société plus juste et
par la reconquête du sens de la vie, c'est le projet humain collectif
que le Mouvement humaniste propose pour le nouveau millénaire et qu'il
appelle " Humanisation de la terre ".
Comme nous le disions, Silo reformule le concept d'humanisme en le plaçant
dans une perspective historique globalisante, c'est à dire en harmonie
avec l'époque actuelle qui voit surgir pour la première fois dans
l'histoire humaine une société planétaire. Silo affirme
que l'humanisme qui apparaît avec force à l'époque de la
renaissance en revendiquant pour l'être humain centrisme et dignité,
contrairement à la dévalorisation effectuée par le Moyen-âge
chrétien, existait déjà dans d'autres cultures, comme dans
l'Islam, en Inde, ou en Chine. Certes, on l'appelait d'une autre façon,
puisque les paramètres culturels de référence étaient
autres, mais néanmoins l'humanisme existait de façon implicite
sous forme d'" attitude " et de " perspective face à la
vie ". Dans cette conception, l'humanisme n'est plus un phénomène
culturellement et géographiquement délimité ; ce n'est
plus un fait européen, mais plutôt un phénomène qui
a surgi et s'est développé dans différents points du monde
et à différentes époques. C'est pourquoi il peut faire
converger des cultures différentes, qui, sur cette planète unifiée
par les moyens de communication de masse, sont désormais forcément
et de façon conflictuelle en contact les unes avec les autres. Mais comment
reconnaître les " moments humanistes " de cultures qui ont parfois
une histoire millénaire. Pour Silo, de tels moments sont identifiables
grâce aux indicateurs historiques suivants :
1. L'être humain occupe une position centrale en tant que valeur et préoccupation
2. On affirme l'égalité de tous les êtres humains
3. On reconnaît et on valorise les diversités personnelles et culturelles
4. On tend à développer la connaissance au delà de ce qui
est accepté comme vérité absolue
5. On affirme la liberté d'idées et de croyances
6. On rejette la violence
L'humanisme, défini par cette attitude et perspective de vie personnelle
et collective, n'est donc pas le patrimoine d'une culture spécifique,
mais celui de toutes les grandes cultures de la terre Et en ce sens, il se présente
comme un humanisme universel. En faisant appel aux moments humanistes existants
dans leur histoire, les grandes cultures qui aujourd'hui s'affrontent peuvent
construire ensemble ce grand rêve que le Mouvement Humaniste appelle la
Nation Humaine Universelle.
J'ai terminé. Merci
de votre attention.
À tous : Paix, Force et Joie.
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