Intervention de Tomás Hirsch au forum de Sao Paulo

le 13 juillet 2005

Amis,
au nom du pacte de la gauche chilienne "Juntos Podemos Más", je voudrais partager avec vous un regard souvent ignoré sur les réalités de mon pays. Bien sûr, ce n'est pas le regard des prétentieux qui se vantent d'un développement inexistant, mais le regard angoissé de million de personnes exclues de cette modernité mensongère.

Depuis 15 ans, le gouvernement chilien de la Concertation continue de gouverner avec une constitution antidémocratique héritée de la dictature, avec un système électoral binomal, excluant la possibilité d'avoir un représentant des travailleurs, l'empêchant même d'être candidat aux législatives ; perpétuant ainsi dans mon pays l'oppression ethnique et l'exclusion des jeunes. Actuellement, il y a encore au Chili des prisonniers politiques poursuivant une dramatique grève de la faim depuis plus de 40 jours et je voudrais profiter de cette tribune pour exiger leur libération immédiate.

Devant les tentatives réitérées des pinochetistes, d'imposer l'impunité, je voudrais dire avec clarté que nous n'accepterons pas un "point final". La lutte pour le plein respect des droits de l'homme est toujours d'actualité et nous n'aurons de cesse d'obtenir la vérité totale et la pleine justice. C'est cohérent avec notre position qui condamne le terrorisme international qu'impose l'impérialisme nord-américain.

Pendant que le gouvernement exhibe de forts indices de croissance économique, les inégalités s'accroissent chaque jour davantage, arrivant à une répartition des revenus la plus injuste de la planète. Pendant que des millions de Chiliens n'ont pas de travail digne, le gouvernement cède les ressources de la pêche, les ressources minières, agricoles, forestières et énergétiques à de grands consortiums multinationaux qui exploitent ces ressources, dégageant de gigantesques profits, sans quasiment payer d'impôts.

La santé et l'éducation ne sont toujours pas un droit mais, sont au contraire, appréhendés comme un commerce rentable pour le système financier.

En réalité nous sommes gouvernés par un gouvernement qui a su maintenir avec brio l'illusion d'être progressiste, tandis que de manière détournée, il applique la politique néo-libérale imposée par le FMI et les grandes multinationales. Discours progressiste et politique conservatrice accentuent la crise politique, sociale et culturelle.

Dire que le gouvernement Lagos a réduit la pauvreté de 50 % est non seulement faux, mais signifie que l'on croit à la résolution des problèmes de notre peuple par l'application brutale du libéralisme.

Sans doute sentons-nous le vent du changement souffler sur notre pays et sur toute l'Amérique. Un vent qui peut devenir un ouragan. Qui guidera cette force qui s'éveille chez les femmes, les jeunes, les travailleurs et nos peuples autochtones ?

Un projet de gauche qui ne pactise pas avec le néolibéralisme et se définit clairement en faveur du travail face au capital, en faveur de la démocratie réelle, en faveur de la diversité et de l'anti-discrimination.

Au Chili ce projet a pris forme avec le collectif appelé "Juntos Podemos Más" (Ensemble nous pouvons plus), regroupant 50 organisations politiques et sociales provenant du champ très ample qui a construit la gauche chilienne en plus de 30 années. Nous sommes communistes, humanistes, chrétiens de gauche, membres du MIR, du PC action prolétarienne, du bloc pour le socialisme, associés à des organisations ethniques, estudiantines, culturelles, écologistes, pour la diversité sexuelle et tous ceux qui veulent construire une alternative au modèle néo-libéral.

Cette association est le meilleur que nous pouvons donner en hommage à celle qui fut la grande combattante pour les droits de notre peuple et pour l'unité de la gauche, la camarade Gladys Marin.

Nous avons aidé à construire un nouveau modèle de développement participatif qui redonnera au peuple sa souveraineté et la maîtrise de son destin.

Nous sommes conscients que nous ne pouvons pas mener cette lutte seuls. Nous devons construire l'unité de la gauche, du progressisme latino-américain et dépasser les conflits qui séparent nos pays.

Nous considérons que le Chili a l'opportunité d'être à l'avant garde de ce processus d'intégration en répondant favorablement à la demande légitime de la Bolivie d'avoir un accès à la mer. Dans la même optique, nous chercherons la réduction multilatérale des dépenses militaires des pays de cette région. Nos pays ont un besoin urgent de ces ressources pour résoudre leurs problèmes.

D'autre part, nous proposons l'ouverture des frontières pour la libre circulation de toutes les personnes.

Et surtout, nous devons avancer vers l'intégration de notre économie, avec une politique qui permette le développement des PME, qui sont les principales sources de création d'emploi.

Ce n'est pas avec les multinationales et les USA que nous résoudrons nos problèmes. Eux ne sont d'accord qu'avec ce qui sert les intérêts des principales multinationales, pas avec ce qui donnerait du travail aux gens.

Nous devons manifester avec force contre l'intervention économique et militaire des Etats-Unis dans nos pays, exprimant notre totale solidarité avec les peuples de Cuba, du Venezuela, de Colombie et d'Haïti.

Chers amis, le moment est venu de réveiller chez toutes les générations latino-américaines, modernes et anciennes, le projet de construire une Nation Humaine Universelle.

L'Amérique latine, qui a subi des tragédies mais, a aussi reçu des apports de tous les peuples, peut aujourd'hui, apporter sa contribution, personnifiant l'aspiration de s'unir en une nation multiculturelle et multi-éthnique avec les mêmes droits et les mêmes possibilités pour tous.

Ensemble nous le pouvons. Unis, nous vaincrons !

Tomás Hirsch